C’est un document exceptionnel. Unique. Depuis sa parution il y a plus de quatre-vingts ans, il n’a jamais été réédité en France. Il l’a été en 2018 et le voilà réédité en format poche, occasion pour ceux qui ne l’ont pas lu de le faire. Car au-delà de la figure pathétique, voire tragique du dernier tsar, c’est tout l’esprit d’une époque qui fait surface dans ses pages, écrites le plus simplement du monde, par un homme, tsar tout puissant, auréolé d’une majesté divine, qui révèle toutes ses faiblesses, trop humaines comme l’avait écrit Nietzsche.
C’est en fait à un duel à distance entre une Russie sainte, et une future Russie soviétisée, matérialiste, implacable auquel nous assistons. Oui, l’écroulement d’un Empire a souvent quelque chose d’effrayant, par sa soudaineté, sa violence, ses incertitudes. Donc durant plus de cinq cents jours, entre l’assassinat à Petrograd, en décembre 1916, de son prophète de malheur, l’« ami » Grigori Raspoutine, et la semaine précédant sa propre exécution, dans la nuit du 16 au 17 juillet 1918, dans le sous-sol de la maison d’Ipatiev à Ekaterinbourg, en Sibérie occidentale, station du Transsibérien, le tsar Nicolas II a tenu un journal presque quotidien. On y lit non seulement le témoignage anxieux d’un autocrate assistant, impuissant, à l’écroulement d’un empire séculaire dont il était le maître et le garant, mais aussi le récit froid, clinique, des derniers jours d’un père, d’un mari, d’un homme. Un homme qui tremble pour la maladie incurable de son unique héritier, Alexis. Un homme blessé. Prisonnier, humilié, menacé, condamné, et bientôt assassiné sauvagement avec toute sa famille et plusieurs de ses proches qui l’on accompagné dans son calvaire, dont son médecin personnel Biotine, dont un des descendants sera le conseiller à la sécurité de Michel Debré durant la guerre d’Algérie, Constantin Mělník.
Pour mettre en valeur ce texte, Jean-Christophe Buisson le dote d’un appareil critique d’envergure, et l’encadre par une préface inédite et une postface. Nicolas II relève de la figure du martyr, n’a -t-il pas abdiqué en déclarant qu’il l’a fait pour le bien de la Russie. On peut dire que toute l’histoire russe postérieure à sa mort s’est inscrite en contre-exemple. Vae victis « Malheur aux vaincus « avait dit le chef gaullois Brennus, une devise que bien des successeurs du dernier tsar firent pleinement leur.